Abandon du Code de la justice pénale des mineurs : Pour une réforme ambitieuse et la création d’un Code de l’enfance

[ Communiqué collectif ]

Des personnalités et des professionnel-les de l’éducation, de la protection de l’enfance et de la justice demandent aux parlementaires un abandon du projet de code de la justice pénale des mineurs afin de mettre en place un vrai débat pour construire ensemble un code de l’enfance !

Le 12 mai 2020, plus de 500 personnalités, professionnels de l’enfance en danger, des acteurs associatifs, des citoyens, nos organisations syndicales et professionnelles interpellaient la garde des Sceaux et les Parlementaires en leur demandant l’abandon pur et simple du projet de Code de la justice pénale des mineurs.

Pour « reconstruire un projet plus ambitieux, en se laissant le temps d’une véritable démarche de consensus, et ainsi de faire aboutir un code non pas seulement de la justice pénale des mineur.e.s, mais de l’enfance et ainsi de replacer la protection de nos enfants au centre des enjeux. »

Car l’urgence n’est pas de voter le report d’un code de la justice pénale des mineurs de quelques mois, ce qui ne remédiera pas aux manques criants de la justice des mineurs : des moyens humains, matériels et financiers, permettant aux professionnels d’exercer pleinement leurs missions de protection de l’enfance en danger. Par ailleurs, les deux mois de confinement ont rendu la situation des juridictions pour enfants intenable en terme de cumul d’activité et rendent difficile voire impossible la mise en œuvre du Code de la justice pénale des mineurs pour le mois de mars 2021.
Certains présidents de juridictions et de nombreux magistrats l’ont constaté.

Au contraire, et encore plus à ce jour, l’urgence est de remettre l’enfant au centre du débat.

L’urgence est de se donner le temps et les moyens d’un véritable débat parlementaire, avec tous les acteurs et actrices de la justice civile et pénale des mineur.e.s.

Certains parlementaires l’ont entendu : en proposant au Sénat un amendement invitant le gouvernement « à renoncer à la partie législative de son ordonnance et à organiser le débat parlementaire autour d’un projet de loi élaboré en concertation avec tous les acteurs qui en ont largement exprimé la demande ».
Si cet amendement a été rejeté, rien n’est encore fait !

Alors que le nouveau projet de loi sur les dispositions urgentes face à l’épidémie de covid-19 est toujours en discussion entre les deux Chambres, il est encore temps d’agir et de prendre les mesures nécessaires !

Donnons-nous les moyens et l’ambition, en abandonnant le projet de code de la justice pénale des mineurs, de penser ensemble et d’adopter dans un consensus le plus large possible un véritable Code de l’enfance !

La Ligue des Droits de l’Homme, la CGT, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, le SNPES PJJ/FSU, la FSU, l’OIP, Union syndicale Solidaires, Solidaires Justice, SNUAS-FP/FSU, Fédération Sud santé sociaux, SNUTER la FSU territoriale, SNEPAP FSU, Fédération Sud Collectivités Territoriales , DEI France, la FCPE.

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Communiqué Collectif Justice des enfants: abandon du CJPM

Depuis deux ans nos organisations s’opposent à l’abrogation de l’ordonnance du 2 février 1945 qui régit la justice des enfants. Le 2 février dernier, nous fêtions les 75 ans de ce texte fondateur et innovant issu du Conseil National de la Résistance, qui a posé les jalons d’une justice des enfants dans laquelle l’éducation doit primer sur la répression. Déjà 40 fois amendé pour le rendre toujours plus répressif, l’actuel gouvernement a signé sa mise à la retraite d’office sans concertation, dans une urgence artificielle en édictant, par ordonnance du 11 septembre 2019, un Code de la Justice pénale des mineurs (CJPM) censé entrer en vigueur, après ratification du Parlement, le 1er octobre 2020. Ce code qui se veut « à droit constant » et dont les objectifs affichés étaient d’améliorer la lisibilité et la rapidité de la justice des enfants, ne fait qu’affirmer les politiques répressives de ces 20 dernières années.

Mais voilà que survient la crise sanitaire. Si déjà les services de la justice de l’enfance pouvaient s’inquiéter du maintien de l’échéance du 1er octobre 2020, il est désormais certain que personne ne sera prêt à temps.

La Garde des Sceaux souhaite reporter l’entrée en vigueur de ce texte de quelques mois. Mais ces « quelques mois », même une année, ne suffiront pas.

Car l’urgence sanitaire actuelle a mis en exergue que les politiques d’austérité de ces 30 dernières années ont eu un effet dévastateur sur les services publics en général. Elle est venue exacerber toutes les difficultés déjà criantes, que nous avons maintes fois signalées, dont le manque de moyens humains et financiers.
La prise en charge des enfants en danger n’est non seulement pas une priorité politique mais a servi de variable d’ajustement des budgets. Que cela soit en prévention, en protection ou en matière pénale, l’enfant en difficulté a été sacrifié. La détresse des professionnels intervenant dans le champ de l’enfance en danger et la dégradation de la prise en charge des enfants sous main de justice sont les conséquences directes de ces choix politiques.

Ainsi la priorité n’est pas la mise en œuvre, même différée, du Code de la justice pénale des mineurs mais bien de redonner les moyens humains et matériels à l’ensemble des acteurs et actrices de l’enfance en danger pour assurer pleinement les missions de protection de l’enfance.

Dans l’urgence, les professionnels ont montré qu’il était possible, avec les textes dont nous disposons déjà, de faire autrement que le tout répressif prôné depuis 20 ans maintenant : diminution drastique du nombre d’enfants en garde à vue, et donc présentés en justice, alternative aux poursuites, sorties de détention…
Ces initiatives ont démontré que le projet que nos organisations portent depuis le début est réaliste, réalisable et souhaitable et que la réforme envisagée n’est pas utile pour y parvenir.

Si nous avons pu changer notre rapport à la justice des enfants depuis le confinement, nous pouvons le faire durablement.

Aussi, nos organisations, des personnalités et des professionnels de l’enfance en difficulté, demandent l’abandon pur et simple du Code de la justice pénale des mineurs.

Il est temps de construire un projet plus ambitieux, celui d’un Code de l’enfance, en matière civile comme pénale, qui puisse rendre à l’ordonnance du 2 février 1945 sa visée éducative et protectrice et se donne les moyens de mettre en œuvre une justice humaniste, bienveillante, sociale et éducative, dans l’intérêt supérieur des enfants, considération primordiale consacrée par l’article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, depuis plus de 30 ans.

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Quand on veut, on peut !

Une autre justice des enfants

[ Communiqué commun ]

680 adolescent.e.s incarcéré.e.s au 22 avril 2020 contre 816 au 1er janvier.

Nos organisations entendent saluer cette diminution significative qui n’avait pas été atteinte depuis plusieurs années. Cette situation, si elle est à mettre en lien avec la situation de crise sanitaire n’est pas directement liée aux dispositions prises par l’ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, puisque les dispositions pour appeler à un nécessaire désengorgement des prisons concernaient essentiellement les personnes condamnées. Or, 80 % des enfants sont écroués dans le cadre de la détention provisoire, c’est-à-dire avant d’avoir été jugés. Cette diminution intervient dans le cadre inédit d’une urgence sanitaire durant laquelle les parloirs famille ont été interrompus, les promenades et les médias éducatifs très fortement limités, la scolarité ajournée. Ainsi des alternatives à l’incarcération ont été trouvées et acceptées, il existe donc bien une autre voie que celle de la privation de liberté !

Au regard des possibles lors de cette période de crise, nos organisations souhaitent rappeler que la détention des mineurs n’est pas une solution. Elle ne doit être envisagée qu’après avoir épuisé toutes les solutions éducatives telles que l’ordonnance du 2 février 1945 le rappelle dans son préambule.
Si aujourd’hui, la détention a pu atteindre ce niveau c’est bien que nous avons collectivement les moyens de construire des réponses autres adaptées aux mineurs et à leurs besoins.

Il faudra nécessairement en tirer des conséquences au-delà du confinement.

Cette baisse est également à mettre en lien avec la diminution radicale du nombre de déferrements durant les premières semaines de l’urgence sanitaire, du nombre de déférements, porte d’entrée vers la sévérité et d’accélération de la réponse pénale.
Nos organisations souhaitent néanmoins alerter sur le fait que majoritairement les enfants présentés devant le juge des enfants depuis la 2ème semaine de confinement le sont dans le cadre d’un nouveau délit : celui de violation réitérée des mesures de confinement.

Outre le caractère juridiquement discuté d’une telle infraction, nous dénonçons que la loi instituant ce délit ne différencie pas les majeurs des mineurs. Elle nie les spécificités inhérentes à l’adolescence, encore plus celle l’adolescence en difficulté et l’impact des règles du confinement sur les familles les plus précaires.
Si déjà habituellement, la présentation d’un enfant devant le juge des enfants dans le cadre du défèrement met la focale sur l’acte davantage que sur la problématique de ce ou cette jeune, d’autant plus en ce moment, cette procédure doit rester exceptionnelle et être réservée aux situations les plus graves.

La justice pénale des enfants doit avant tout être protectrice, éducative, humaniste et émancipatrice car ils sont la richesse et le devenir de notre société.

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Refusons que la protection de l’enfance soit sacrifiée dans la lutte contre la pandémie

Tribune unitaire parue dans Libération le 23 avril 2020. Face au coronavirus, les services de protection de l’enfance, déjà mal en point, ne sont plus en mesure de remplir leur mission d’accompagnement. De toute urgence, il faut bannir les placements à l’hôtel, garantir la continuité des soins ainsi que le repérage des situations de violence.

Monsieur le président,

Le 16 mars, devant des millions de personnes, vous avez déclaré, avec gravité, que nous étions en guerre. Dans toutes les guerres précédentes, les enfants ont été les grands oubliés. Celle-ci ne fait pas exception. En décidant de ne pas agir pour protéger nos générations futures, vous les sacrifiez. Comme dans l’hôpital public, cette crise pointe cruellement le désengagement de l’État à l’égard de ceux, vulnérables parmi les vulnérables, représentant aussi l’avenir de notre pays.

Aujourd’hui, dans les foyers où sont placés des dizaines de milliers d’enfants en danger, les conditions de vie se dégradent jour après jour, mettant encore plus en difficultés ceux qui l’étaient déjà. Dans ce contexte de pandémie, la santé et la sécurité des enfants placés sont gravement compromises par le sureffectif, l’absence de personnel suffisant et de protection sanitaire. Véritable rampe de lancement de l’épidémie, les structures d’accueil explosent, tandis que les familles d’accueil sont abandonnées à leur triste sort. La situation sanitaire associée aux manques de moyens et d’effectifs conduit à opérer un choix radical entre accepter un retour dans leur famille d’enfants placés, au risque de maltraitances pour certains, ou les couper pendant plusieurs semaines de leurs parents, ces décisions étant arrêtées trop souvent sans l’accord du juge des enfants, pourtant seul habilité à les prendre. Par ailleurs, des milliers d’enfants relégués à l’hôtel se débattent, seuls, dans des conditions d’hygiène déplorables, dont une partie n’a rien à attendre d’un soutien familial en France, étant arrivés seuls sur le territoire. Cette situation fragilise l’ensemble de ces enfants déjà surexposés aux angoisses de mort, à la terreur et à l’abandon. Pour les enfants suivis à leur domicile, le confinement accentue le huis-clos familial difficile, voire violent, et empêche les professionnels d’intervenir chez eux. Véritables poudrières, les services de protection de l’enfance ne sont plus en mesure d’assumer leurs missions premières : évaluer les situations de danger, protéger, soutenir et accompagner.

Partir au combat sans casque

Comment pouvons-nous accepter que nos soldats partent au combat sans casque ? Que des enfants maltraités ne soient plus repérés, ni signalés, ou ne disposent plus d’interlocuteur éducatif pour alerter ? Que des enfants fugueurs se voient refuser l’accès à leur foyer ? Que des enfants handicapés ne soient plus soignés ? Que des enfants souffrant d’addictions n’aient aucun soutien ? Que des parents n’aient pas de quoi nourrir leurs enfants, récupérés dans l’urgence suite à la fermeture de structures ? Que les juges des enfants ne soient plus en mesure de tenir des audiences ?

Dans une situation déjà explosive avant la pandémie, la confusion dans laquelle nous plongent les pouvoirs publics ajoute à la maltraitance des enfants, des familles et des professionnels de la protection de l’enfance, tant du champ médico-social que judiciaire. Le confinement, les réponses différentes d’un territoire à l’autre, la marginalisation des droits devant les juges des enfants prévue dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire sont autant d’éléments qui renvoient, encore plus que d’habitude, les enfants à des situations familiales inégales et des niveaux de protection disparates.

La guerre est là, mais elle n’est pas nouvelle. Elle a lieu dans des familles, où chaque jour 200 enfants sont victimes de maltraitances. Dans les tribunaux, où les juges des enfants et les greffiers se battent ardemment pour remplir leur mission avec trop peu de moyens. Dans les services d’Aide Sociale à l’Enfance et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, où de nombreux professionnels ne disposent plus du temps nécessaire pour évaluer, accompagner et protéger. Dans les services éducatifs intervenant à domicile, où les listes d’attente ne cessent de s’allonger. Dans les services de soins, centres médico-psychologiques, ou du moins ce qu’il en reste. Dans les foyers d’enfants, où la violence se répète encore. Dans les familles d’accueil, qui ne bénéficient pas de l’accompagnement suffisant. Dans les hôtels, là où meurent des enfants délaissés. Enfin, elle a lieu dans la rue, là où vivent de nombreux anciens enfants placés, mis à la porte d’un système à bout de souffle, le jour de leurs 18 ans. Qu’avez-vous entrepris contre ces guerres, lorsque les associations de protection de l’enfance, les collectifs d’anciens enfants placés et les professionnels de l’enfance vous ont interpellé ces dernières années ?

Si la lutte contre le coronavirus pose des questions inédites à une protection de l’enfance déjà bien mal en point, elle se fait aujourd’hui au détriment du droit de chaque enfant à être protégé, à voir ses besoins fondamentaux satisfaits.

La protection de l’enfance ne se nourrit pas de discours et d’applaudissements. De toute urgence, vous devez fournir les protections sanitaires essentielles, ouvrir de nouveaux lieux pour accueillir les enfants, bannir les placements d’enfants à l’hôtel, rappeler l’interdiction des mises à la rue des enfants placés devenant majeurs, garantir la continuité des soins, assurer le maintien des liens familiaux actés par la justice, garantir le repérage des situations de violence.

Après le confinement, l’heure des comptes

Dès la fin du confinement, nous demanderons des comptes. Les décideurs politiques devront justifier les choix effectués pendant des années, faisant de milliers d’enfants en danger des sacrifiés de la République. Les institutions concourant à la protection de l’enfance devront rendre des comptes sur la manière dont elles se sont assurées de leur mission, avant, pendant et après la pandémie. Elles devront organiser, pour l’avenir, des plans de continuité de l’activité détaillés, élaborés collectivement et coordonnés. Surtout, il sera urgent de questionner le rôle de l’État dans les missions essentielles de protection de l’enfance, d’interroger la compétence actuelle des départements à gérer cette situation, abandonnant à ce jour nos enfants à leur triste sort, dépendants de politiques locales qui ont démontré leur inégalité et souvent leur inefficacité à les protéger et les accompagner dignement, en temps de guerre comme en temps de paix.

Monsieur le président, de vos actions futures, de vos choix – notamment budgétaires -, en somme de votre volonté politique, dépendent l’intégrité physique et psychique, la vie de milliers d’enfants.

Premiers signataires : Syndicat de la magistrature, SOS Enfants Placés, Syndicat des avocats de France, Fédération nationale des assistants familiaux, La FSU, Françoise Laborde, journaliste écrivaine, Antoine Dulin, Conseil Économique, sociale et environnementale, Michèle Créoff, ancien cadre territorial, membre du Conseil national de la protection de l’enfance, Sylvain Louvet, journaliste, réalisateur du documentaire Enfants placés, les sacrifiés de la République, Dominique Attias, avocate, ancienne vice-bâtonnière du barreau de Paris, Droit au logement, Réseau éducation sans frontières, Fédération Sud éducation, Fédération Sud Santé Sociaux, SNPESPJJ/FSU, Solidaires Justice, La CGT, Union syndicale Solidaires, SNUASFP/FSU.

Voir La Tribune sur le site de Libération

Lettre ouverte à la garde des Sceaux et au secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance

[ Courrier collectif ]

Madame la ministre, garde des Sceaux,
Monsieur le secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance,

Nos organisations tiennent à vous alerter sur la situation des enfants en cette période de confinement. Alors qu’ils sont particulièrement vulnérables et qu’une attention particulière devrait leur être accordée, ils sont en réalité les grands oubliés.
Au risque de leur faire encourir de graves dangers.
En cette période de crise, nous constatons que les rôles et places de chacun des acteurs, tant en protection de l’enfance qu’en matière pénale sont brouillés, tant et si bien que ces missions pourtant essentielles ne sont plus assurées au mieux des intérêts des enfants et des adolescents.
Les ordonnances prises dans le domaine de la justice, en matière civile comme pénale, ne nous semblent pas de nature à résoudre les difficultés, mais au contraire à les aggraver.

S’agissant de la protection de l’enfance vous avez, Monsieur le secrétaire d’État, adressé une lettre le 21 mars dernier aux présidents des conseils départementaux dans laquelle vous avez listé les activités vous semblant devoir être intégrées dans les plans de continuation d’activité des départements : cellule de recueil des informations préoccupantes, interventions de protection de l’enfance à domicile, permanence éducative téléphonique à destination des assistants familiaux, prise en charge au-delà des 18 ans pour éviter toute remise à la rue de jeunes majeurs non autonomes et adaptation des missions de la PMI.

Vous y avez également mentionné la priorité qui devait être donnée à la mise à l’abri des mineurs isolés étrangers, quand bien même les conditions d’évaluation de leur minorité seraient perturbées, la mise à l’abri devant dès lors être systématique.

Toutes ces préconisations, que nous rejoignons, avaient pour but, selon vos propres termes, de rappeler que « les enfants en danger et les enfants protégés doivent faire l’objet d’une vigilance encore plus forte afin que l’urgence sanitaire à laquelle nous sommes confrontés ne conduise pas à aggraver leur situation ».

Et pourtant …
Nous constatons que les situations sont très disparates selon les départements et dans nombre d’entre eux ces priorités ne sont pas assurées.

Les services de prévention et de protection de l’enfance, que ce soit dans le cadre administratif ou judiciaire, fonctionnent essentiellement par téléphone.
Alors même que ce seul contact par téléphone apparaît insuffisant, il est en outre mis à mal la plupart du temps, par l’absence de matériel professionnel mis à disposition des équipes.

La crise sanitaire conduisant également de nombreux foyers à solliciter des mainlevées de mesures, voire les contraignant à fermer, certains enfants reviennent à domicile dans des conditions mal préparées et sans aucun accompagnement éducatif effectif, ou bien sont brutalement réorientés vers d’autres structures.

L’accès aux soins est mis à mal et les services de la protection maternelle infantile ne paraissent pas partout en état de fonctionner.

En cette période où l’école ne peut que difficilement jouer son rôle habituel de détection des situations de danger, nous nous inquiétons particulièrement des capacités collectives, à les détecter et donc à apporter une protection effective aux enfants concernés.

Enfin, la situation des mineurs isolés étrangers demeure la plus préoccupante, ces derniers ne sachant vers qui se tourner pour être mis à l’abri, beaucoup sont à la rue. Une décision de la CEDH a d’ailleurs été nécessaire pour enjoindre un département à prendre un mineur en charge.

Si nous avons pu espérer que l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale apporterait quelques gardes-fous en matière d’assistance éducative, il n’en est rien.

L’ordonnance donne la possibilité aux juges des enfants de prononcer des non-lieux à assistance éducative sans audience et sans recueil des observations des parties. Ainsi, des mineurs isolés étrangers risquent fortement de se voir refuser le bénéfice de mesures d’assistance éducative sans avoir eu l’occasion d’être défendus et de faire valoir leurs observations.

Par ailleurs, nous ne pouvons que déplorer que cette ordonnance oublie l’enfant comme sujet de droit.

Il n’est à nul endroit prévu le recueil de ses observations ou son audition alors-même que l’enfant discernant est partie à la procédure et que son droit à être entendu est un principe consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant.

Pourtant, les décisions qui pourront être prises par les juges des enfants, sans contradictoire réel, et pour de trop longues durées, seront lourdes de conséquences : prolongation des mesures d’assistance éducative de plein droit jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, (sans que l’on sache s’il sera levé le 24 mai prochain) ; renouvellements de mesures pouvant aller jusqu’à neuf mois pour les placements, un an pour les mesures de milieu ouvert, sur le fondement d’un rapport éducatif, dont il n’est en nul endroit prévu les modalités effectives de communication aux parties, ou d’accès au dossier.

Par ailleurs, le recueil de l’avis écrit d’un seul parent, sans prise en compte de l’avis de l’enfant dans les mêmes conditions, vient à l’encontre de l’ exercice de l’autorité parentale conjointe, qui pourtant est et doit rester la règle, à l’exception de situations particulièrement graves (telles les violences avérées d’un parent) .

L’état d’urgence sanitaire ne justifie pas une telle disproportion dans l’atteinte aux droits des parties.

Concernant la prise en charge de la délinquance des enfants et des adolescents, nous faisons malheureusement des constats tout aussi pessimistes.

En effet, la grande majorité des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse n’ont pas les moyens matériels et techniques permettant un accompagnement à distance, dans le respect des mesures sanitaires, et le maintien d’un lien effectif et suivi avec les enfants et les adolescents, pour lesquels l’entretien uniquement téléphonique s’avère parfois totalement inadapté.

En détention, la situation apparaît dramatique et force est de constater l’insuffisance des moyens de protection pour éviter une propagation du virus – les gestes « barrière » étant très difficiles à respecter – , une promiscuité en promenade, des activités quasi à l’arrêt et une privation complète des contacts avec les familles, ce qui rend l’enfermement d’autant plus insupportable.

Si des structures de type foyers ou centres fermés ont vu leurs effectifs diminuer pour des solutions alternatives, pour autant, les lieux d’incarcération des mineurs sont encore trop pleins, comme en témoignent les chiffres de la région Île de France, où les établissements accueillant des mineurs étaient à saturation jusqu’il y a quelques jours et ne se vident que très lentement.

Les mineurs isolés étrangers sont particulièrement touchés par cette situation carcérale lourde, subissant parfois des transferts d’établissement intempestifs et obtenant peu de mises en liberté, faute de solutions alternatives adaptées en cette période de crise sanitaire.

L’ordonnance du n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale accroît ces difficultés, en permettant notamment une prolongation de droit de la détention provisoire pour les plus de 16 ans encourant plus de sept ans d’emprisonnement.

Nous déplorons que cette ordonnance n’ait pas davantage fait primer l’éducatif, ni garanti la spécificité et la moindre sévérité pour les enfants par rapport aux majeurs. Il est à notre sens très préoccupant et peu compréhensible que pour plusieurs dispositions (prolongation de garde à vue qui peut intervenir sans présentation devant le magistrat compétent, prorogation automatique de la détention provisoire), certains mineurs puissent se voir appliquer les mêmes règles que les majeurs, règles pourtant particulièrement dérogatoires aux droits de la défense et aux libertés. Il est à noter d’ailleurs que toutes les mesures plutôt favorables portant sur les remises de peine concernent en réalité peu de mineurs, qui restent à 80 % placés sous le régime de la détention provisoire.

Par ailleurs, les seules règles spécifiquement prévues pour les mineurs, à savoir la prolongation automatique des mesures de placement (pour 4 mois), et des mesures éducatives (pour 7 mois) sans débat, ne garantissent pas le respect des droits particulièrement en ce que les placements en centre éducatif fermé n’ont pas été explicitement exclus et que ces durées sont excessives. Nous nous interrogeons ici aussi sur la notion de rapport éducatif au regard de l’absence de matériel professionnel d’une grande partie des personnels de la PJJ sus-mentionnée.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, Madame la ministre, Monsieur le secrétaire d’État, nos organisations espèrent que de nouvelles mesures, que ce soit sur un plan matériel ou juridique, pourront être rapidement prises pour garantir la protection des enfants et des adolescents durant cette crise sanitaire.

Nous appelons également à en tirer d’ores et déjà des enseignements pour l’avenir, cette crise étant venue confirmer et mettre au jour, le délabrement général des services de prévention, de protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse sur lequel nous vous avions plusieurs fois alertés.

Si les places en foyer n’étaient pas aussi difficiles à trouver et suffisamment diversifiées en temps normal, si les moyens humains, matériels et techniques de tous les acteurs étaient suffisants, peut-être aurions-nous pu éviter une telle imprévisibilité.

Aussi, nous espérons que cela sera le chantier prioritaire de l’après-état d’urgence sanitaire, plutôt qu’une réforme non consensuelle du droit pénal des mineurs, notamment en redéployant les moyens substantiels actuellement dévolus aux lieux privatifs de liberté vers les services de prévention, de la protection de l’enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et les tribunaux pour enfants.

En vous remerciant de l’attention portée à ce courrier, nous vous assurons, Madame la ministre, Monsieur le secrétaire d’État, de notre plus haute considération.

Les signataires :
Avocats conseil d’entreprise (ACE), Barreau de Paris, Confédération générale du travail (CGT), Conférence des bâtonniers, Conseil national des barreaux (CNB), Convention nationale des associations de protection de l’Enfant (CNAPE), Fédération des conseils de parents d’élèves Paris (FCPE75), Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), Fédération SUD SANTE SOCIAUX, Fédération syndicale unitaire (FSU), Ligue des droits de l’homme (LDH), Observatoire international des prisons Section Française (OIP-SF), Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), Syndicat national des personnels de l’éducation et du social – PJJ (SNPES-PJJ/FSU), Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUASFP-FSU), la FSU territoriale (SNUTER-FSU), Solidaires Justice, Union syndicale Solidaires.

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