LA VÉRITABLE RECONNAISSANCE DES AGENTES ET DES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE PASSE PAR UNE AUGMENTATION GÉNÉRALE DE LEURS SALAIRES

[ Tribune ]

La reconnaissance du rôle des agents de la fonction publique passe par une augmentation générale de leurs salaires, souligne dans une tribune au « Monde » un appel collectif de syndicalistes, de militants de la vie associative, de la vie politique et de la culture :

La crise issue de la pandémie a eu au moins une vertu : la reconnaissance de l’engagement et des compétences des agentes et agents de la Fonction publique.

Qui prétendrait aujourd’hui que les femmes et les hommes de l’hôpital public, celles et ceux de l’Education nationale, des services départementaux d’incendie et de secours perçoivent une juste rémunération?

Et ce qui est vrai pour ces professions l’est également pour toutes celles qui œuvrent à l’intérêt général et à la protection des populations, qu’elles soient sur le devant de la scène médiatique ou non.

A l’heure où, de manière tout à fait légitime, le pouvoir d’achat est à nouveau la principale préoccupation de la population, les personnels des trois versants de la Fonction publique ne peuvent se contenter de discours louangeurs ou de mesures parcellaires.

Il en va aussi de l’attractivité de la Fonction publique, de sa capacité à recruter et maintenir en son sein des agentes et agents à la formation et à la qualification du plus haut niveau possible, dimension indispensable à la qualité du service public.

De significatives et urgentes augmentations générales sont indispensables.

Sans attendre, il faut donc rompre avec l’absence de mesures générales :  il faut ainsi revaloriser le point d’indice, dont le gel, en plus de dix ans, a entraîné pertes de pouvoir d’achat considérables, absence de reconnaissance des qualifications et rabougrissement des carrières. D’autres mesures – telles que l’attribution d’un nombre de points uniforme à toutes et à tous – doivent être envisagées.

Nous n’oublions pas que plus de 60 % des personnels de la Fonction publique sont des femmes. Il faut donc en finir avec les inégalités professionnelles dont elles sont victimes.

Nous n’oublions pas d’avantage que plus d’un million de non titulaires et précaires travaillent dans la Fonction publique et que leur situation doit être également améliorée.

Nous, signataires de cette tribune, venons d’horizons différents : militantes et militants de la vie associative, de la vie politique, syndicalistes, femmes et hommes de la Culture…

Mais, toutes et tous considérons que les services publics pour lesquels notre attachement est sans faille ont besoin de femmes et d’hommes bénéficiant d’un salaire décent et valorisant. 

C’est pourquoi, nous demandons que le Président de la République et le Gouvernement ouvrent sans attendre de véritables négociations pour procéder, dès le début 2022, aux augmentations générales de salaire que les agentes et agents de la Fonction publique méritent amplement.

Voir les signataires et signer la pétition :

https://lespetitions.eu/petition/org/intersyndicales/la-veritable-reconnaissance-des-agentes-et-des-agents-de-la-fonction-publique-passe-par-une-augmentation-generale-de-leurs-salaires

Projet de loi sur la protection de l’enfance

Nous exigeons un débat pour établir un code de l’enfance qui protège tous les enfants Et adolescent.e.s de ce pays

Tribune collective

Présenté le 16 juin dernier au Conseil des Ministres, le projet de loi sur la protection de l’enfance est en cours d’examen à l’Assemblée nationale

Les principaux points de ce texte auraient pour finalité « de mieux protéger les enfants contre les violences » et de « mieux piloter la politique de prévention et de protection de l’enfance », avec la priorité du placement dans la famille de l’enfant, la normalisation de l’évaluation des situations de danger sur l’ensemble du territoire, ou encore une infime amélioration des conditions de travail et de rémunération des familles d’accueil… Néanmoins, ce texte est aussi celui qui , sous certaines conditions, autorise les placements d’enfants à l’hôtel, qui sont unanimement décriés , en faisant mine de poser une interdiction de principe. Il prévoit enfin des mesures particulièrement inquiétantes concernant les mineur.e.s isolé.e.s étrangers.eres.

Ce projet de loi, établi et discuté dans la précipitation, le gouvernement ayant encore une fois recours à la procédure accélérée, ne permet pas de garantir suffisamment l’intérêt des enfants et ne répond pas aux attentes légitimes des acteurs et actrices intervenant en protection des enfants. Il n’évoque pas la notion de prévention de l’enfance en danger et surtout le manque de moyens pour assurer l’ensemble des missions de prévention et de protection de l’enfance.

En effet, la protection de l’enfance connaît une crise profonde en raison du défaut criant de moyens et d’une politique globale de prise en charge des enfants erratique et morcelée dans de nombreux départements. Ainsi des décisions judiciaires en assistance éducative restent inappliquées ou retardées par manque de moyens humains et d’accueil ; des enfants sont laissés à domicile dans un contexte de danger avéré ou bien placés à l’hôtel faute de place en institution; ou bien encore confiés à des structures inadaptées à leur problématique ou éloignées de leurs attaches sociales et familiales, par défaut de diversité des hébergements ou de place ; le travail indispensable d’intégration des familles dans le processus éducatif est souvent « oublié » dans le stress du quotidien de travail, etc.

Dans ce contexte particulièrement oppressant, les professionnels ne se reconnaissent plus dans des demandes centrées en permanence sur l’urgence, le chiffre et les gestions comptables à l’origine d’ un épuisement psychique et physique et d’une perte de sens de leur engagement professionnel.

Ces graves dysfonctionnements ne seront pas réglés par ce texte qui élargit au contraire les possibilités de délégation d’autorité parentale à l’Aide sociale à l’enfance, amoindrissant de fait le contrôle du juge,, ne garantit pas l’absence d’éloignement des enfants faute de structures de proximité et prévoit de trop nombreuses dérogations à l’interdiction d’héberger des enfants en hôtel ou en centres de vacances, Il est aussi une occasion manquée de permettre une pleine et entière assistance en justice du mineur, particulièrement vulnérable, à tous les stades de la procédure et la question de l’accompagnement des jeunes majeurs sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance est à nouveau ignorée.

Pire, ce texte organise la scission entre protection de l’enfance et prise en charge des enfants isolés étrangers. Loin de répondre aux véritables problématiques qui rendent l’accompagnement de ces

enfants discriminatoire (invisibilisation de leurs difficultés, accompagnement éducatif insuffisant, absence d’hébergement ou hébergement à l’hôtel, éloignement géographique forcé pour satisfaire les quotas par département), il organise un glissement dangereux et inacceptable de la protection de l’enfance vers la politique d’immigration.

Le recours de fait obligatoire au fichier dit « d’appui à l’évaluation de la minorité » induit une logique de contrôle, au détriment de la protection de ces jeunes particulièrement vulnérables et au risque de refuser par erreur la protection à un enfant.

Par ailleurs, ce projet de loi est discuté alors qu’entre en application, le 30 septembre 2021 le code de la justice pénale des mineurs, très contesté également qui affiche des réponses fermes et rapides au détriment du temps essentiel de l’accompagnement éducatif.

En définitive, il ne prend pas en compte la protection de l’enfant dans sa globalité. . Il fait l’impasse sur la dimension pourtant essentielle de la prévention, n’évoquant aucunement certains des lieux de vie des enfants et adolescents tel que l’école.

Pour éviter ces différents écueils, nous demandons que le débat soit réorienté sur la réflexion autour d’une véritable protection de l’enfance, globale et dotée des moyens adéquats, dont les dispositions seraient réunies dans un code de l’enfance intégrant les deux dimensions que sont la protection des enfants et la prévention, dont font pleinement partie les mineur.e.s non accompagné.e.s, et la justice pénale des mineur.e.s.

Tous ces enfants sont les mêmes : ils ont besoin d’un accompagnement et d’une aide cohérente et bienveillante.

Cette jeunesse reste l’avenir de notre société. Demain adulte, comment peut-elle se construire dans cet état de relégation, d’abandon, de stigmatisation qui lui est imposé ? Quels citoyens et citoyennes seront ces jeunes demain? Il s’agit de l’urgence de leur protection immédiate, mais aussi d’un investissement humain à long terme dans la construction d’une société plus apaisée.

Organisations signataires :
Conseil National des Barreaux – Syndicat de la Magistrature – Syndicat des Avocats de France – SNPES-PJJ/FSU – La CGT – FSU – Ligue des Droits de l’Homme – Solidaires – SNUASFP FSU – SNUTER FSU – DEI France – SNEPAP FSU – SUD Santé Sociaux – Solidaires Justice – SUD Collectivité Territoriales

Une version « courte » de cette tribune est publiée sur le site internet du journal Libération, lire à ce lien.


Refusons que la protection de l’enfance soit sacrifiée dans la lutte contre la pandémie

Tribune unitaire parue dans Libération le 23 avril 2020. Face au coronavirus, les services de protection de l’enfance, déjà mal en point, ne sont plus en mesure de remplir leur mission d’accompagnement. De toute urgence, il faut bannir les placements à l’hôtel, garantir la continuité des soins ainsi que le repérage des situations de violence.

Monsieur le président,

Le 16 mars, devant des millions de personnes, vous avez déclaré, avec gravité, que nous étions en guerre. Dans toutes les guerres précédentes, les enfants ont été les grands oubliés. Celle-ci ne fait pas exception. En décidant de ne pas agir pour protéger nos générations futures, vous les sacrifiez. Comme dans l’hôpital public, cette crise pointe cruellement le désengagement de l’État à l’égard de ceux, vulnérables parmi les vulnérables, représentant aussi l’avenir de notre pays.

Aujourd’hui, dans les foyers où sont placés des dizaines de milliers d’enfants en danger, les conditions de vie se dégradent jour après jour, mettant encore plus en difficultés ceux qui l’étaient déjà. Dans ce contexte de pandémie, la santé et la sécurité des enfants placés sont gravement compromises par le sureffectif, l’absence de personnel suffisant et de protection sanitaire. Véritable rampe de lancement de l’épidémie, les structures d’accueil explosent, tandis que les familles d’accueil sont abandonnées à leur triste sort. La situation sanitaire associée aux manques de moyens et d’effectifs conduit à opérer un choix radical entre accepter un retour dans leur famille d’enfants placés, au risque de maltraitances pour certains, ou les couper pendant plusieurs semaines de leurs parents, ces décisions étant arrêtées trop souvent sans l’accord du juge des enfants, pourtant seul habilité à les prendre. Par ailleurs, des milliers d’enfants relégués à l’hôtel se débattent, seuls, dans des conditions d’hygiène déplorables, dont une partie n’a rien à attendre d’un soutien familial en France, étant arrivés seuls sur le territoire. Cette situation fragilise l’ensemble de ces enfants déjà surexposés aux angoisses de mort, à la terreur et à l’abandon. Pour les enfants suivis à leur domicile, le confinement accentue le huis-clos familial difficile, voire violent, et empêche les professionnels d’intervenir chez eux. Véritables poudrières, les services de protection de l’enfance ne sont plus en mesure d’assumer leurs missions premières : évaluer les situations de danger, protéger, soutenir et accompagner.

Partir au combat sans casque

Comment pouvons-nous accepter que nos soldats partent au combat sans casque ? Que des enfants maltraités ne soient plus repérés, ni signalés, ou ne disposent plus d’interlocuteur éducatif pour alerter ? Que des enfants fugueurs se voient refuser l’accès à leur foyer ? Que des enfants handicapés ne soient plus soignés ? Que des enfants souffrant d’addictions n’aient aucun soutien ? Que des parents n’aient pas de quoi nourrir leurs enfants, récupérés dans l’urgence suite à la fermeture de structures ? Que les juges des enfants ne soient plus en mesure de tenir des audiences ?

Dans une situation déjà explosive avant la pandémie, la confusion dans laquelle nous plongent les pouvoirs publics ajoute à la maltraitance des enfants, des familles et des professionnels de la protection de l’enfance, tant du champ médico-social que judiciaire. Le confinement, les réponses différentes d’un territoire à l’autre, la marginalisation des droits devant les juges des enfants prévue dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire sont autant d’éléments qui renvoient, encore plus que d’habitude, les enfants à des situations familiales inégales et des niveaux de protection disparates.

La guerre est là, mais elle n’est pas nouvelle. Elle a lieu dans des familles, où chaque jour 200 enfants sont victimes de maltraitances. Dans les tribunaux, où les juges des enfants et les greffiers se battent ardemment pour remplir leur mission avec trop peu de moyens. Dans les services d’Aide Sociale à l’Enfance et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, où de nombreux professionnels ne disposent plus du temps nécessaire pour évaluer, accompagner et protéger. Dans les services éducatifs intervenant à domicile, où les listes d’attente ne cessent de s’allonger. Dans les services de soins, centres médico-psychologiques, ou du moins ce qu’il en reste. Dans les foyers d’enfants, où la violence se répète encore. Dans les familles d’accueil, qui ne bénéficient pas de l’accompagnement suffisant. Dans les hôtels, là où meurent des enfants délaissés. Enfin, elle a lieu dans la rue, là où vivent de nombreux anciens enfants placés, mis à la porte d’un système à bout de souffle, le jour de leurs 18 ans. Qu’avez-vous entrepris contre ces guerres, lorsque les associations de protection de l’enfance, les collectifs d’anciens enfants placés et les professionnels de l’enfance vous ont interpellé ces dernières années ?

Si la lutte contre le coronavirus pose des questions inédites à une protection de l’enfance déjà bien mal en point, elle se fait aujourd’hui au détriment du droit de chaque enfant à être protégé, à voir ses besoins fondamentaux satisfaits.

La protection de l’enfance ne se nourrit pas de discours et d’applaudissements. De toute urgence, vous devez fournir les protections sanitaires essentielles, ouvrir de nouveaux lieux pour accueillir les enfants, bannir les placements d’enfants à l’hôtel, rappeler l’interdiction des mises à la rue des enfants placés devenant majeurs, garantir la continuité des soins, assurer le maintien des liens familiaux actés par la justice, garantir le repérage des situations de violence.

Après le confinement, l’heure des comptes

Dès la fin du confinement, nous demanderons des comptes. Les décideurs politiques devront justifier les choix effectués pendant des années, faisant de milliers d’enfants en danger des sacrifiés de la République. Les institutions concourant à la protection de l’enfance devront rendre des comptes sur la manière dont elles se sont assurées de leur mission, avant, pendant et après la pandémie. Elles devront organiser, pour l’avenir, des plans de continuité de l’activité détaillés, élaborés collectivement et coordonnés. Surtout, il sera urgent de questionner le rôle de l’État dans les missions essentielles de protection de l’enfance, d’interroger la compétence actuelle des départements à gérer cette situation, abandonnant à ce jour nos enfants à leur triste sort, dépendants de politiques locales qui ont démontré leur inégalité et souvent leur inefficacité à les protéger et les accompagner dignement, en temps de guerre comme en temps de paix.

Monsieur le président, de vos actions futures, de vos choix – notamment budgétaires -, en somme de votre volonté politique, dépendent l’intégrité physique et psychique, la vie de milliers d’enfants.

Premiers signataires : Syndicat de la magistrature, SOS Enfants Placés, Syndicat des avocats de France, Fédération nationale des assistants familiaux, La FSU, Françoise Laborde, journaliste écrivaine, Antoine Dulin, Conseil Économique, sociale et environnementale, Michèle Créoff, ancien cadre territorial, membre du Conseil national de la protection de l’enfance, Sylvain Louvet, journaliste, réalisateur du documentaire Enfants placés, les sacrifiés de la République, Dominique Attias, avocate, ancienne vice-bâtonnière du barreau de Paris, Droit au logement, Réseau éducation sans frontières, Fédération Sud éducation, Fédération Sud Santé Sociaux, SNPESPJJ/FSU, Solidaires Justice, La CGT, Union syndicale Solidaires, SNUASFP/FSU.

Voir La Tribune sur le site de Libération

Justice des mineurs : «L’ordonnance de 1945 ne doit pas être réformée sans retour à une philosophie bienveillante»

Tribune commune publiée dans Le Monde le 12 février 2019.

Lors des débats parlementaires sur le projet de loi de programmation 2018-2022 pour la justice, la garde des sceaux a déposé un amendement de dernière minute visant à obtenir une habilitation pour réformer la justice des enfants par voie d’ordonnance et rédiger un code pénal des mineurs. L’amendement a été adopté le 23 novembre 2018 et légèrement rectifié le 23 janvier lors de l’examen, puis de l’adoption du texte de loi en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale. Ce texte doit être examiné, en nouvelle lecture également, par le Sénat à partir du 12 février.

Si la loi est votée en l’état, le recours à l’ordonnance aura pour effet de priver de débats parlementaires, comme de discussions au sein de la société civile, un sujet aussi sensible et essentiel : celui de notre jeunesse, et plus particulièrement de sa partie en grande difficulté. Il s’agit d’un passage en force, aux dépens d’un véritable débat démocratique inscrit dans le temps et d’une concertation la plus large possible. Si la ministre affirme qu’elle ne touchera pas aux « principes essentiels » de la justice des enfants, elle souhaite rendre celle-ci plus efficace en termes de célérité et de réponses pénales, laissant ainsi entendre qu’actuellement elle serait lente et indulgente.

Si l’exploitation politique et médiatique de faits divers concernant des enfants et des adolescents laisse croire que cette justice manque de réactivité et de sévérité, nous affirmons, nous, historiens, historiennes, sociologues, juristes, chercheurs, chercheuses, pédopsychiatres, professionnels de la justice (juges des enfants, équipes éducatives, avocats), anciens jeunes pris en charge par les institutions judiciaires, membres d’organisations, d’associations et de collectifs en lien avec la jeunesse, acteurs et actrices du monde culturel et social, citoyens, citoyennes, que cette idée est fausse.

La justice des mineurs plus répressive

Tandis que la délinquance juvénile n’a pas augmenté depuis quinze ans, le nombre d’enfants privés de liberté n’a jamais été aussi élevé en France que depuis ces deux dernières années. Sur le plan pénal, la justice des enfants est actuellement régie par l’ordonnance du 2 février 1945, issue du Conseil national de la Résistance. Dans son préambule, cette ordonnance précise que « la France n’est pas assez riche de ses enfants pour en négliger un seul » et repose sur le principe fondateur de la primauté de l’éducatif sur le répressif. Depuis 1945, ce texte a été largement modifié, dont certains articles plusieurs fois.

L’empilage législatif rend aujourd’hui la justice des mineurs chaque fois plus répressive, expéditive, et tend à la rapprocher de plus en plus de celle des majeurs. L’enfance, l’adolescence, le passage à l’âge adulte sont des périodes fragiles, complexes, qui, en fonction de l’histoire, de la problématique et de la personnalité de chaque individu nécessitent de la bienveillance, du temps et des moyens. Une justice protectrice et émancipatrice passe par la construction de relations éducatives et d’expériences sociales suffisamment étayantes pour permettre la sortie de délinquance.

Or, actuellement, les réponses apportées à la délinquance des mineurs sont de moins en moins éducatives et aidantes pour ces enfants. Au fil des années, les mesures de contrôle se sont de plus en plus substituées aux mesures éducatives, les mesures d’évaluation sont remises en question, le sens du placement a été modifié. Avec les créations de centres fermés supplémentaires prévues par le projet de loi, ceux-ci deviendront en 2022 plus nombreux que les lieux d’hébergements classiques. Parallèlement, le placement diversifié, en famille d’accueil ou en semi-autonomie est menacé de disparition.

Un besoin de moyens pour plus d’« efficacité »

La philosophie du placement s’est profondément modifiée, passant d’une mission de protection à une visée coercitive. Les solutions d’insertion proposées sont devenues des mesures « occupationnelles », qui prennent de moins en moins en compte le projet de l’adolescent. Si l’ordonnance du 2 février 1945 doit être réformée, l’empilement législatif lui ayant fait perdre tout son sens, nous pensons qu’il est essentiel de revenir à la philosophie générale du texte d’origine. Il est important de rappeler, sans angélisme, qu’un ou une jeune qui commet un acte de délinquance est avant tout un enfant en danger.

En cela, la rédaction d’un code pénal spécifique pour mineurs viendrait inévitablement remettre en cause cette notion primordiale en réduisant l’adolescent à son passage à l’acte. La justice des enfants, pour davantage d’« efficacité », a surtout besoin de moyens. En effet, si certains adolescents attendent parfois plusieurs années pour être jugés, c’est essentiellement parce que les tribunaux n’ont pas les moyens humains et matériels, suffisants pour fonctionner et non parce que la procédure serait par essence trop longue.

De plus, comme l’ont dénoncé récemment plusieurs tribunaux pour enfants, certaines mesures éducatives prononcées par les juges restent en attente plusieurs mois et deviennent parfois caduques avant même que l’enfant ait pu rencontrer un professionnel. Derrière ces listes d’attente, il y a, en effet, des enfants et des adolescents qui ont avant tout besoin d’un accompagnement éducatif et/ou psychologique qui leur permette de se structurer, de mûrir, d’apprendre de leurs erreurs, de prendre ou reprendre confiance en eux.

Lorsque ces adolescents ne sont pas accompagnés, leurs situations sociales, scolaires, psychiques, familiales continuent, trop souvent, de se dégrader, parfois de façon inéluctable. Enfin, lorsque les mesures deviennent effectives, les services éducatifs manquent également de personnels et d’outils (lieux diversifiés de placement, d’insertion…) pour leur proposer un accompagnement adéquat. Actuellement, trop de moyens sont dévolus à l’enfermement aux dépens de la protection de l’enfance dans son ensemble.

Dans ce contexte, l’ordonnance de 1945 ne doit pas être réformée sans débat, sans prise en compte des besoins réels des adolescents accompagnés et des professionnels, sans retour à une philosophie bienveillante, protectrice et émancipatrice et sans une réelle redistribution des moyens en ce sens.

Premiers signataires : Dominique Attias, avocate, ancienne vice-bâtonnière du barreau de Paris ; Odile Barral, présidente du tribunal des enfants de Toulouse ; Esther Benbassa, sénatrice Europe Ecologie-Les Verts ; Ugo Bernalicis, député La France insoumise ; Jacques Bourquin, historien, ancien directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse ; Maxime Boyer, président du Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (Génépi) ; Claire Brisset, ancienne défenseuse des enfants ; Laurent Cantet, cinéaste ; Audrey Chenu, professeuse des écoles, auteure de Girlfight ; Laurence De Cock, enseignante, historienne et docteure en sciences de l’éducation ; Christophe Daadouch, docteur en droit, formateur dans les institutions sociales et médico-sociales ; Yves Douchin, président du Théâtre du fil ; Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature ; Colette Duquesne, présidente de Dei-France ; Françoise Dumont, présidente d’honneur de la Ligue des droits de l’homme ; Lysia Edelstein, psychologue retraitée de la Protection judiciaire de la jeunesse ; Didier Fassin, professeur de sciences sociales à l’Institut d’étude avancée de Princeton ; Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux ; Fréderic Gabet, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Seine-Saint-Denis ; Simone Gaboriau, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature ; Jérôme Gavaudan, président de la Conférence des bâtonniers ; Roland Gori, psychanalyste, professeur émérite de la psychologie clinique à l’université Aix-Marseille ; Bernadette Groison, secrétaire générale de la Fédération syndicale unitaire (FSU) ; Hervé Hamon, ancien président du tribunal des enfants de Paris ; Arkana Kény, rappeuse ; Elie Lambert, secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires ; Lazare, auteur, metteur en scène ; Christine Lazerges, juriste, professeure émérite Paris-I ; Anne Leclerc, éducatrice retraitée de la Protection judiciaire de la jeunesse ; Henri Leclerc, avocat pénaliste ; Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT) ; Marie Rose Moro, professeuse de psychiatrie de l’enfant, cheffe de service de la Maison de Solenn ; Laurent Mucchielli, sociologue ; Mourad Musset, chanteur de La Rue Kétanou ; David Niget, maître de conférences en histoire à l’université d’Angers ; Véronique Le Gouaziou, sociologue, écrivaine ; Willy Pelletier, coordinateur général de la Fondation Copernic ; Charlotte Perry, journaliste ; Laurence Petit-Jouvet, cinéaste ; Stéphane Peu, député Parti communiste français (PCF) ; Marie-Aimée Peyron, bâtonnière de l’ordre des avocats de Paris ; Olivier Peyroux, sociologue ; Serge Portelli, magistrat ; Vincent Pouplard, réalisateur ; Laurence Roques, présidente du Syndicat des avocats de France ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme ; Nicolas Sallée, sociologue, Université de Montréal, directeur scientifique du Centre de recherche de Montréal sur les discriminations, les inégalités sociales et les pratiques alternatives de citoyenneté (Cremis) ; Laurent Solini, doctorant en sociologie sur les expériences de détention des adolescents incarcérés en établissements pénitentiaire pour mineurs ; Aurélie Trouvé, porte parole d’Attac ; Jean-Jacques Yvorel, historien

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